


Au départ de cette nouvelle aventure planait la figure de Barbe Bleue, fantôme inquiétant et entêtant, invisible geôlier qui invitait à fouiller les motifs de l’enfermement féminin et de la désobéissance, dans leurs dimensions intime et sociétale.
Alors, nous avons fait comme si. On a joué à faire comme si nous attendions le retour de l’autre, voulant bien faire, bouclées à double tour dans nos conditionnements, confrontant nos présences à cet autre toujours là et si peu présent à la fois. Juste le temps de préparer une tarte aux pommes. Juste le temps de préparer une tarte aux pommes, ou celui de chercher désespérément une porte de sortie. Il a piqué la clé. Pas de quoi en faire un plat, mais le temps quand même de se demander ce que ça donnerait si, à force de rage contenue et de révolte sourde, la femme se faisait elle-même Barbe Bleue. Pour le plaisir de l’hypothèse. Ne pas tout accepter. Ne pas tout vouloir.
Ce sera donc l’histoire de plusieurs métamorphoses successives, où ce seront les corps qui parlent quand tous les mots sont épuisés, jusqu’à devenir monstres, glissant vers les Furies ou l’hystérie. Jusque là où il devient impossible de formuler, de respirer. Pour qu’enfin un « non » puisse gronder. Ainsi, il aura fait de nous des animaux incongrus, agités et monstrueux, qu’il trouvera beaux, nous étouffant mieux encore dans la farine de ses compliments.
Cloîtrées dans le silence de la servitude complaisante, armée en puissance bâillonnée par des pommes, c’est ensemble que nous inventerons une poésie aérienne qui libère. Et l’autre s’étonnera encore de ne pas nous comprendre. Mais c’est que nous aurons trouvé la porte qu’il croyait si bien condamnée, celle qu’on a eu le courage de s’inventer tout là-haut, dans la poésie perchée d’une étrange danse solitaire.